Le petit roman d’al-Quds – Avant-Propos

[Avant-propos de l’auteur : ‘Le petit roman d’al-Quds ’, ‘Issâ Meyer]

Fondamentales dans l’histoire, la géographie, le dogme de l’Islâm, inséparables de l’âme de la Oumma et de l’identité musulmane, inscrites en lettres d’or dans le cœur et l’esprit des croyants, al-Quds et son esplanade bénie d’al-Aqsâ sont indiscutablement parmi les symboles les plus transcendants de la foi de Muhammad ﷺ. C’est sans doute l’une des rares causes qui puissent encore rassembler des centaines de millions de musulmans, de l’Atlantique au Pacifique, sans distinction d’ethnie ; l’un des seuls symboles qui aient été capables de provoquer autant d’émotions à travers les siècles, d’unir les cœurs des croyants avec tant de sincérité et d’abnégation, à chaque fois que sa sacralité s’est trouvée menacée ou profanée. Et attaquée, elle n’a cessé de l’être tant son importance religieuse et géopolitique en a presque toujours fait l’ambition des plus grands rois et conquérants de toutes les époques, une métropole sacrée sujette à toutes les invasions, toutes les vicissitudes du temps, toutes les calamités successives. Terre des Prophètes et des Messagers, des pieux et des véridiques, Jérusalem occupe une place de choix dans l’Histoire, elle qui s’est presque toujours trouvée au-devant de la scène du monde – souvent, bien malgré elle. Démolie, reconstruite, ravagée, rebâtie, transformée à de nombreuses reprises tout au long de sa vie riche en événements et en épreuves, cette ville sainte gravée dans la légende se dresse pourtant toujours comme l’un des plus éblouissants joyaux de l’humanité, l’une des merveilles les plus précieuses de la civilisation, où l’Histoire se matérialise à chaque recoin de ses ruelles et marchés pittoresques, de sa vieille ville chargée de mémoire, de ses minarets et murs ottomans, de ses madrasas mameloukes, de son glorieux Dôme du Rocher – témoignage éternel de la dévotion musulmane à son égard, qui sublime son horizon et fascine ses visiteurs depuis treize siècles.

Et que dire de sa sainte esplanade, dont la beauté éblouit les yeux autant que sa quiétude apaise le cœur ? Est-il seulement possible de contester la sacralité, les vertus et les mérites d’al-Aqsâ, bénie du haut des cieux et honorée par la présence de tant de Prophètes et de Messagers, d’hommes pieux et d’érudits qui ont préservé leur héritage à travers les âges ? L’Unique, dans Sa sagesse infinie, a distingué cette terre d’al-Quds en lui octroyant des bénédictions spirituelles incommensurables au profit de toute l’humanité – une atmosphère bénie qui en a fait, depuis près de quatre millénaires, un lieu de proximité du Divin, de prière, de retraite et de méditation pour tous les peuples. Première qibla des musulmans, seconde maison d’Allâh sur Terre, troisième mosquée sainte vers laquelle le croyant est invité à voyager, le sanctuaire est le seul lieu d’adoration – hormis le Haram de Makkah – qui soit mentionné dans le Qur’ân, qui multiplie les références à la ville sainte, ses environs, son histoire et celle des hommes et des femmes qui l’ont fréquentée. Les Anges sont descendus y porter la Révélation, Ibrâhîm, Ishâq, Ya’qûb et Dâwud y ont posé leurs fronts, et ce ne sont que les rebuffades de son peuple qui ont empêché Mûsâ de fouler son sol. Suleymân en a fait l’une des merveilles du monde antique, Zakariyyâ a servi dans son Temple et y a reçu la nouvelle de la naissance de Yahyâ, Maryam y a été accueillie et nourrie par son Seigneur, ‘Issâ y a prêché son peuple avec passion, Muhammad ﷺ y a été guidé par Jibrîl. C’est le seul endroit au monde où tous les Prophètes aient prié ensemble, assemblés derrière le dernier des Messagers ﷺ ; de tous les recoins de la Terre, c’est celui-ci qu’Allâh a choisi pour mener Son Envoyé ﷺ vers Lui lors du Voyage nocturne et de l’Ascension, l’un des événements les plus miraculeux de la Sîra. La meilleure des générations musulmanes – les premiers Compagnons du Prophète ﷺ – a prié en sa direction. C’est là où, peu après la mort du dernier des Messagers ﷺ, Allâh a honoré sa promesse de faire hériter la terre d’Ibrâhîm à ses successeurs légitimes et d’y établir solidement la foi qu’Il avait choisie pour eux. Khâlid ibn al-Walîd a campé sous ses murs, mais c’est ‘Umar ibn al-Khattâb qui l’a ouverte à l’Islâm par la plume de la paix, en toute humilité. Bilâl ibn Rabâh a proclamé l’adhân sur ses collines ; des milliers de Compagnons du Prophète ﷺl’ont ensuite visitée pour y prier ou s’y mettre en état d’ihram avant leur pèlerinage. Al-Ghâzalî y a rédigé son œuvre-maîtresse et ash-Shâfi’î y a enseigné, comme tant d’érudits et d’ascètes qui, séduits par son climat spirituel, ont choisi ses murs pour résidence. Les Omeyyades y ont bâti le premier véritable chef-d’œuvre de la civilisation islamique ; Nûr ad-Dîn l’a gardée en son esprit nuit et jour, son disciple et élève Salâh ad-Dîn l’a libérée ; Baybars et les Mamelouks l’ont encore embellie, Suleymân le Magnifique l’a fortifiée. Toutes les plus grandes dynasties musulmanes y ont laissé leur marque, des califes bien-guidés aux Ottomans, pour en faire un formidable musée à ciel ouvert d’architecture islamique qui fait honneur à l’extraordinaire talent des artisans qui l’ont façonné au fil des siècles.

Depuis le temps des Prophètes envoyés pour élever et guider l’humanité, l’histoire de Jérusalem est surtout inséparable d’un idéal suprême, bâti sur un double fondement à la fois spirituel – le monothéisme absolu – et terrestre – la justice. Ce sont ces valeurs fondamentales qu’ont personnifié et matérialisé les plus grands souverains qu’aient connu al-Quds, et qui en ont fait l’un des phares de la piété, de la droiture, de la bonté et des plus belles vertus, de l’ère des rois-prophètes des fils d’Isrâ’îl à celle des califes bien-guidés, et au-delà. Dans une ville aussi disputée, qui occupe une place si transcendante dans l’imaginaire, les croyances et les sentiments de civilisations et de religions très diverses, cet idéal exigeait un système politico-religieux capable d’assurer le vivre-ensemble ; et c’est bien sous le règne de l’Islâm que les plus hauts standards de tolérance, de miséricorde et de respect de l’autre ont été atteints. Car contrairement à ce que l’actualité peut parfois nous amener à penser, la coexistence pacifique dans la ville sainte n’est en rien une utopie : pendant des siècles, les différentes communautés religieuses y ont vécu ensemble, dans une relative harmonie, sous l’égide de la sharî’a. Dans le contexte actuel, il est ainsi bon de rappeler que, par trois fois, ce sont des souverains musulmans – et non des moindres – qui ont permis aux Juifs de retrouver leur ville sainte dont les autorités chrétiennes les avaient bannis : ‘Umar ibn al-Khattâb, Salâh ad-Dîn et Baybars. À l’inverse, les autres périodes ont trop souvent été marquées par une violence extrême, une intolérance fanatique et le bannissement total des autres religions, tandis que la furie sanguinaire des Croisades et, plus près de nous, la colonisation ont marqué un traumatisme permanent dans les relations interreligieuses. C’est que l’histoire d’al-Quds n’a pas manqué de travestissements de la religion, de doctrines altérées et corrompues qui tenaient la possession exclusive d’un simple bout de terre comme une fin en soi : les Croisades en sont l’exemple le plus abouti. Et s’il est une leçon à retenir du sort de ce type de piété fallacieuse et autodestructrice, qui confine en réalité à l’idolâtrie, c’est que le véritable héritage des Prophètes ne repose ni dans leur tombe supposée ni dans les lieux qu’ils ont sacralisés, mais dans leur message et l’application des principes et valeurs qu’ils ont transmis. C’est toujours de cette manière que les musulmans ont connu le succès, et non en se focalisant sur des slogans creux et vides de sens faisant d’un emplacement terrestre, aussi sacré soit-il, un but ultime.

Alors que le statut d’al-Aqsâ et l’identité islamique d’al-Quds n’ont sans doute jamais été aussi menacés – à l’ère moderne – que de nos jours, notre humble espoir est en tout cas que ce modeste ouvrage imprègne dans le cœur des croyants affection, amour et dévotion envers ces lieux bénis, qu’il développe leur dévouement à cette cause et fasse naître en eux l’envie de visiter la ville sainte ; que de nouvelles générations grandissent avec un attachement sincère envers al-Aqsâ et sa terre, qu’elles reprennent l’héritage de la Tradition de nos pieux prédécesseurs et le flambeau de dizaines de générations de musulmans, de tous les peuples de la Oumma, qui ont assuré l’entretien, l’embellissement et la transmission de ce sanctuaire – comme le Prophète ﷺ l’avait voulu et souhaité, lui qui s’est assuré, par de multiples exhortations, que sa communauté n’oublie, n’abandonne ni n’ignore jamais al-Aqsâ, qu’elle soit consciente de son devoir à son égard et ne cesse de se soucier de son sort. Mais surtout, et avant toute chose, comme évoqué plus haut, que cet amour des symboles de l’Islâm s’accompagne d’une fidélité à ses valeurs – ces principes chevaleresques de droiture, de justice, de bonté qui ont ouvert les portes d’al-Quds à ‘Umar ibn al-Khattâb et à Salâh ad-Dîn et ont fait prospérer la ville à chaque ère où ils ont été mis en pratique.

Malgré la terrible douleur qui frappe les amoureux d’al-Quds depuis maintenant plus d’un siècle, concluons néanmoins sur une note d’espoir : s’il y a bien une chose que la longue et tourmentée histoire de la ville sainte nous enseigne, c’est que rien n’y est, jamais, irréversible ni permanent, encore moins garanti. Au fil des étonnants soubresauts du Destin qui ont marqué ses quatre mille années d’existence, les lieux saints profanés ont toujours été restaurés, la cité n’a jamais cessé de se réinventer et de renaître, et ceux qui se pensaient invincibles, de Babylone et Rome aux croisés, ont tous mordu la poussière : à Jérusalem, plus, peut-être, que partout ailleurs, les injustes n’ont jamais le dernier mot.

Qu’Allâh soulage l’affliction des croyants et fasse à nouveau régner la paix et la justice sur cette terre bénie, chère au cœur de milliards de fidèles à travers le monde ; qu’Il ouvre grand les portes d’al-Quds afin que tous puissent, comme du temps des califes, s’y rendre sans peine, de toutes les nations, et y adorer leur Seigneur en toute quiétude.

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