[Avant-propos du traducteur : ‘Histoire des Croisades (Tome II) ’, S.E. Zaimeche Al-Djazairi]
Le premier tome de cette œuvre a posé les bases de la compréhension de l’ère des Croisades – pourquoi, comment et qui ? – tout en jetant un œil critique sur l’historiographie moderne du sujet et en retraçant le déroulement des trois premières expéditions majeures de la chrétienté médiévale contre le monde musulman, ainsi que la montée en puissance progressive de la Contre-croisade zengide et ayyoubide, jusqu’à la consécration – la reconquête de Jérusalem, en 1187. Ce second volume s’intéressera à la manière dont cette phase historique de deux siècles s’est achevée, contre toute attente, sur une éclatante et indiscutable victoire musulmane – une issue qui n’était en rien assurée, ni même prévisible, au regard des dynamiques internationales, des forces en présence et des nombreux soubresauts intervenus sur la scène politique de l’Orient après la mort de Salâh ad-Dîn.
Durant le siècle mouvementé qui sépare la disparition du légendaire sultan, en 1193, de la reconquête musulmane d’Acre et des derniers bastions francs sur les côtes du Shâm, en 1291, pas moins de six nouvelles grandes Croisades sortiront en effet des entrailles de l’Europe pour s’abattre sur l’autre rive de la Méditerranée, et les pulsions conquérantes de l’Occident trouveront de nouvelles cibles : l’Égypte, bien sûr, devenue l’incontestable bastion de l’Islâm, mais aussi Tunis ou encore Constantinople, capitale byzantine ravagée par l’avidité des Latins ; Jérusalem sera, un temps, reperdue par la légèreté des derniers Ayyoubides ; et dans le camp croisé, des fanatiques invétérés comme le roi de France Louis IX et le légat pontifical Pélage s’alterneront avec des personnages plus disposés au compromis, à l’image de l’étonnant Frédéric II, très arabophile empereur des Romains excommunié par le Pape. Surtout, un nouvel acteur des plus maléfiques fera son entrée fracassante sur la scène géopolitique : les Mongols, dont les deux grandes vagues d’invasions en forme de cataclysme historique viendront traumatiser durablement la civilisation islamique et même, un temps, manquer de l’annihiler complètement, entre indicibles atrocités, dévastation de métropoles et de régions entières, destruction des derniers vestiges du califat, et alliances plus ou moins abouties avec les puissances croisées pour prendre l’Islâm en tenailles.
Face à cette menace existentielle inédite, il faudra opposer mieux que la décadence des Abbassides et la pathétique faiblesse des derniers princes de la famille de Salâh ad-Dîn, bien indignes du fondateur de leur dynastie ; et c’est alors que surgiront des hommes providentiels tels qu’Allâh en a toujours placé aux moments les plus dramatiques de l’Histoire : les célèbres Mamelouks, qui balaieront leurs prédécesseurs en fin de course avant de reprendre à pleines mains un flambeau délaissé depuis un demi-siècle, de mettre un coup d’arrêt décisif aux hordes mongoles, et de chasser définitivement les croisés hors d’Orient pour restaurer la paix et l’ordre dans la région, après deux cent ans de futiles affrontements durant lesquels le sang aura coulé bien plus qu’il n’en faut. Sayf ad-Dîn Qûtuz, Baybars, Qalâwûn, al-Ashraf Khalîl : ces personnages incontournables de cet ouvrage se révèleront comme autant de généraux de talent et de souverains d’exception qui sauront remobiliser un peuple au bord du gouffre, lui inspirer la rage de vivre, le ramener sur la voie de la victoire avec fougue et détermination. Ce nouvel esprit insufflé par les Mamelouks au cœur de l’âme musulmane – très certainement l’élément primordial de la déconfiture finale des Croisades – ne saurait sans doute être mieux décrit que par ces mots d’Amin Maalouf :
« Les Mamelouks ne plaisantent pas. Leurs méthodes ne ressemblent en rien à celles de Saladin. Les sultans-esclaves qui gouvernent au Caire depuis dix ans reflètent le durcissement et l’intransigeance d’un monde arabe assailli de toutes parts. Ils se battent, par tous les moyens. Sans scrupules, sans gestes magnanimes, sans compromis. Mais avec courage et efficacité. C’est en tout cas vers eux que se tournent tous les regards, car ils représentent le dernier espoir d’enrayer la progression de l’envahisseur. » 2
C’est donc l’histoire de ce siècle de tous les dangers – et de ses héros – que retracera ce second tome, avant d’offrir au lecteur un aperçu de la perpétuation de l’esprit de Croisade à travers les siècles, en Méditerranée et surtout dans les Balkans, contre une nouvelle puissance musulmane en pleine ascension : les Ottomans.
Notes
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Amin Maalouf, ‘Les Croisades vues par les Arabes’.