Femmes d’islâm – Introduction (extrait)

Il ne se passe plus guère une semaine, voire une journée, sans que les sujets relatifs à la femme musulmane ne fassent l’objet de débats, rarement honnêtes et bien intentionnés, dans les médias francophones. Grossières contre-vérités, déclarations péremptoires assénées à l’envi et clichés sordides s’y égrènent jusqu’à la nausée au fil des tables rondes, des reportages à charge et des thèses philosophiques à l’emporte-pièce sur la supposée oppression dont seraient victimes les musulmanes depuis quatorze siècles et ses raisons profondes qui trouveraient leurs sources dans les Textes sacrés de l’islâm. Il serait ainsi malhonnête de notre part d’affirmer que réfuter ces allégations nauséabondes – par la permission de Dieu – n’a pas été l’un des objectifs de notre travail. Mais il ne s’agit pas là de la seule motivation de la rédaction de cet ouvrage, puisque force est de constater, en effet, que cette histoire est souvent méconnue des musulmans eux-mêmes, entrouvrant ainsi la porte, en réaction, à un féminisme dévoyé et destructeur, voire à des réactions de rejet pur et simple de la Religion.

Les diverses biographies présentées dans cet ouvrage, quintessences d’une vie féminine accomplie, contredisent ainsi par leur simple nombre l’idée fallacieuse et malhonnête, promue par de nombreux courants d’inspiration occidentale, qui voudrait que les femmes aient toujours été à la périphérie de la société islamique et s’y soient soumises silencieusement à ses lois dans une position d’infériorité et d’humiliation. Par leur rôle de promotion et de reproduction des valeurs communautaires, par leur engagement social, spirituel, éducatif, créatif, intellectuel et artistique voire politique, elles furent, bien au contraire, centrales dans la naissance, le développement et la vie de la civilisation islamique. Elles rappellent l’idée que la femme musulmane, mère et gardienne de la communauté, non seulement peut, mais doit agir – dans le cadre fixé par l’islâm – pour le bien de sa communauté et le salut de sa propre âme.

Il s’agit donc de s’affranchir de cette fausse dichotomie, particulièrement présente dans le monde francophone, qui voudrait que la pleine application de l’islâm et l’épanouissement de la femme soient deux réalités inconciliables. L’objet de cet ouvrage n’est pas de disserter sur la place de la femme en islâm sous ses aspects théoriques, théologique ou juridique, – un sujet que nous laissons aux personnes compétentes en la matière et sur lequel nombre de pages ont déjà été écrites – mais bien de l’aborder par l’exemple concret, historique en l’occurrence : d’abord, à travers le modèle ô combien révélateur de la première génération de musulmanes, celles qui vécurent avec et autour du Prophète, puis des nombreuses femmes qui s’illustrèrent, dans tous les domaines, au sein de la Oumma à travers les douze siècles suivants.

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Les grandes figures décrites dans cet ouvrage s’illustrèrent ainsi essentiellement dans l’éducation et l’enseignement, la spiritualité, les arts et les sciences, la culture, l’architecture, la charité ou encore l’action sociale. Et quand elles se lancèrent dans les affaires de la guerre ou de l’État, au-delà du rôle de conseil qu’elles tenaient depuis l’ère prophétique, ce ne fut le plus souvent que sous la contrainte d’événements dramatiques qui les forcèrent à entrer dans l’arène pour le bien commun de la communauté toute entière.

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Il est d’ailleurs important de noter à ce sujet que ces grandes dames, attachées à la plus stricte orthodoxie, n’aient jamais remis en cause ni abandonné les conventions islamiques spécifiques à la femme, relatives notamment aux normes vestimentaires, à la pudeur ou à la mixité. Et que ce n’est pas par attachement à une quelconque idéologie occidentale ou à des influences philosophiques venues d’ailleurs que les hommes autour d’elles les honorèrent, reconnurent le bien-fondé de leur place dans la société et même les encouragèrent dans leurs entreprises, mais bien grâce à l’attachement inconditionnel de ces derniers aux droits de la femme garantis par le Qur’ân et la Loi islamique autant qu’à la culture d’équité et de respect promue par l’exemple prophétique.

Si une étude détaillée de ce sujet particulier serait hors du cadre de cet ouvrage comme de nos compétences, il nous paraît toutefois indispensable de souligner – brièvement – que le Qur’ân, dernière des Révélations divines et source fondamentale de la civilisation islamique sous tous ses aspects – spirituel, moral, social, politique ou juridique -, n’hésite pas à proposer plusieurs puissants modèles féminins aux croyants. La femme de Pharaon est ainsi louée pour son profond courage et sa force de conviction face aux intimidations et à l’arrogance de son époux, l’un des hommes les plus mauvais qui aient jamais foulé cette terre; quant à Maryam bint ‘Imran (Marie, mère de Jésus), elle est présentée comme un parangon de pureté et de foi autant qu’un modèle de patience face aux épreuves et a même l’honneur de voir une sourate entière porter son nom, la célèbre sourate Maryam (19) qui revient notamment sur sa vie.

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Le Qur’ân, source de guidée pour l’humanité toute entière, révolutionna ainsi profondément le statut des femmes, auparavant de simples commodités en leurs foyers, et leur place dans la société, leur rendant dignité, respect et honneur. Le Prophète Muhammad, véritable « Qur’ân qui marche » selon les mots de son épouse ‘Aisha, dont le comportement tout entier, jusqu’aux moindres gestes, paroles et détails, devait personnifier la Révélation, n’hésita pas à montrer la voie par son exemple personnel et à incarner ce changement de paradigme radical par sa relation empreinte de l’affection la plus sincère, notamment, avec ses filles et épouses, souvent au grand étonnement de ses contemporains. Les hadîths à ce sujet sont légion, mais une étude détaillée de ces derniers n’entrerait pas plus dans le cadre de cet ouvrage ni les domaines d’expertise de l’auteur que celle du Qur’ân en la matière.

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« Il m’a été donné d’aimer de votre vie d’ici-bas trois choses : les femmes, le parfum et la prière, dans laquelle se trouve la réjouissance de mes yeux », disait ainsi le Prophète. Et il fut, effectivement, toute sa vie durant, entouré de femmes, qu’il s’agisse de celles qui le prirent en charge suite à la perte précoce de ses parents, de ses épouses, de ses filles ou des femmes parmi ses Compagnons. Dès les premiers moments de la Révélation, c’est une femme, en la personne de son épouse Khadijah, qui fut la première à croire en lui et à le soutenir contre vents et marées. Et lorsque l’ordre descendit d’avertir ceux qui lui étaient le plus proches, il n’en exclut en aucun cas les femmes de son cercle familial. Autour de lui, les premières à porter en foi en son message vécurent et subirent les mêmes persécutions, les mêmes épreuves et la même vulnérabilité que l’ensemble de la jeune communauté musulmane – peut-être, même, d’une manière plus violente encore que les hommes.

La première martyre de l’islâm fut ainsi une femme, Sumayya, dont nous aborderons le portrait. Elles furent de tous les moments les plus critiques et les plus décisifs de la mission prophétique, de la première émigration vers l’Abyssinie au serment de Ridwan, en passant par les serments d’Aqaba, la grande hijra vers Médine ou la trêve d’al-Hudaybiyya, n’hésitant jamais à sacrifier leurs biens et leurs personnes au service du triomphe de la Vérité. À Médine, elles prirent toute leur part dans la naissance et le développement de la nouvelle Cité islamique, fondée sur un mode de vie et un ordre social instaurés par le Qur’ân et la Sunna. Pas à un moment, elles ne furent exclues de l’accès au savoir religieux et le Prophète ne manquait jamais une occasion de le leur enseigner.

Fondées sur de telles bases, la civilisation islamique ne pouvait ainsi que faire la part belle aux femmes, et l’on chercherait en vain une tradition religieuse où elles furent si présentes et actives dès les premières générations de son histoire. D’autant que les autorités politiques et religieuses qui succédèrent immédiatement au Messager de Dieu mirent un point d’honneur à perpétuer son exemple à ce sujet… Et que la première collection écrite du Qur’ân fut remise à la garde de l’une des Mères des Croyants, Hafsa. Après la mort du Prophète certaines se firent donc muhaddîthat et se dévouèrent corps et âme à la préservation et à la transmission du savoir religieux. Portées par l’exemple de ‘Aisha, première grande savante de l’islâm, nombre d’entre elles se lancèrent ainsi dans l’éducation et l’enseignement, s’attirant par leur zèle et leurs compétences la profonde estime de leurs pairs dans un ordre social où l’autorité était alors explicitement basée sur le savoir autant que sur la dévotion religieuse.

Une réalité qui suscite pourtant encore l’étonnement, comme le Dr. Akram Nadwi, auteur d’un travail de recherche monumental sur les femmes savantes de l’islâm, l’admet lui-même : « Au début, je pensais ne trouver que trente à quarante femmes; mais au fil de mes recherches, le décompte n’a cessé de croître jusqu’à ce que je réalise que je possédais pas moins de huit mille récits biographiques de femmes ayant joué un rôle majeur dans la préservation et le développement des traditions islamiques depuis le temps du Prophète ! Les femmes que j’ai pu étudier étaient loin d’être médiocres au regard des hommes, et certaines d’entre elles surpassaient même de loin leurs contemporains masculins. Ces femmes exceptionnelles ont non seulement participé à la société, mais l’ont également activement réformée. Ce qui m’a le plus frappé fut le calibre de leurs réalisations intellectuelles, ainsi que le respect et la reconnaissance dont elles bénéficiaient. » Le Dr. Ruth Roded, qui affirme dans une étude récente que la proportion de femmes enseignantes dans de nombreuses madrasas musulmanes médiévales était plus haute que dans les universités occidentales modernes, abonde dans le même sens lorsqu’elle affirme que « si les historiens européens et américains ressentent le besoin de reconstruire l’histoire des femmes car elles sont invisibles dans les sources traditionnelles, les savants musulmans font eux face à une surabondance de matériel à ce sujet qui a seulement commencé à être étudié. En lisant les biographies de milliers de femmes savantes musulmanes, l’on est stupéfié par ces preuves évidentes qui contredisent la vision répandue des femmes musulmanes comme marginales, isolées et restreintes. »

Premières dames aussi influentes que généreuses des plus grands califats, de Bagdad à Cordoue, poétesses, artistes et savantes, elles peuplèrent ensuite par milliers les chancelleries, palais et assises de science de l’âge d’or de la civilisation islamique… À l’image de Shajarat ad-Durr, de Sayyida al-Hurra ou des reines d’Aceh, d’aucunes se firent également chefs de guerre lorsque les circonstances l’exigeaient – qu’il s’agisse des Croisades, de la Reconquista ou des prémices de la colonisation. Durant l’ère ottomane du « sultanat des femmes », elles présidèrent même près d’un siècle aux destinées de ce qui était alors le plus puissant empire du monde musulman, voire de l’humanité toute entière… Et les femmes des harems moghol et ottoman se distinguèrent tout autant par leur fièvre bâtisseuse, marquant leur temps et laissant une empreinte indélébile dans le paysage d’Istanbul ou des Indes; richissimes, elles pesèrent également de tout leur poids sur les sociétés musulmanes d’alors par leur immense œuvre caritative.

À travers une série de chroniques qui traversent les âges et transporteront le lecteur aux quatre coins du monde en une ode à l’extraordinaire diversité de la civilisation islamique, il sera donc ici question de rendre hommage à ces grandes dames de l’islâm et de rétablir, à travers leurs biographies, une vue plus nuancée de la réalité des sociétés musulmanes à travers l’Histoire. Quoi qu’il en soit, cet ouvrage ne se veut en aucun cas exhaustif et devra plutôt se lire comme une série de chroniques qui permettent de donner une vue générale de la civilisation islamique à travers le temps – du premier au douzième siècle de l’Hégire – et l’espace – de l’Arabie à l’Espagne et à l’Indonésie en passant par le sous-continent indien, le monde turc, l’Orient arabe, l’Égypte, le Maghreb ou encore l’Afrique de l’Ouest.

À travers ces nombreux exemples de lieux et de périodes divers et variés, qui s’étendent de l’ère du Prophète à la grande rupture civilisationnelle que fut la rencontre avec la modernité occidentale, l’évidence de l’immense place des femmes dans le monde de l’islâm ne pourra ainsi en sortir, par la permission de Dieu, que plus éclatante ! Les musulmans et surtout les musulmanes trouveront dans cet ouvrage, si Dieu le veut, une source d’inspiration et de motivation face aux immenses défis que notre communauté est appelée à relever; quant aux lecteurs non familiers de l’islâm et de sa civilisation, nous espérons qu’ils y découvriront, dans le cadre d’une quête sincère de vérité, des pistes d’une compréhension plus juste du message islamique, de la sublime personnalité du Prophète Muhammad et de ses Compagnons et de l’histoire fascinante de la civilisation musulmane.

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