Premier acte éclatant d’une formidable épopée qui devait s’étendre sur près de huit siècles, la conquête musulmane de l’Espagne est peut-être l’un des événements les plus marquants de l’Histoire de l’humanité. Moins d’un siècle après l’Hégire, l’islâm pénétrait ainsi pour la première fois en Europe pour y écrire certaines de ses plus belles lettres de noblesse…
Les premières conquêtes musulmanes, ces miracles de la Foi et de l’épée, ont fasciné et impressionné les plus grands à travers l’Histoire par leur fulgurance et leur dynamisme, l’art de la guerre de leurs stratèges, le panache de leurs généraux et commandants, le dévouement absolu de leurs guerriers, leur étendue presque inimaginable pour l’époque – des Pyrénées à l’Indus et aux confins de l’Himalaya – alliée à l’impact et à la permanence de leurs résultats. La conquête de l’Espagne ne fait pas exception à la règle. Tariq ibn Ziyad, le fougueux Berbère, Musa ibn Nusayr, le grand chef d’orchestre arabe, ou encore Mughîs le Romain, ne furent pas moins brillants et talentueux que leurs glorieux prédécesseurs, conquérants de l’Orient, de la Perse ou de l’Égypte. Sous leurs ordres audacieux et leurs harangues enflammées, quelques milliers de cavaliers du Maghreb et d’Orient abattaient la tyrannie des Wisigoths en quelques mois, ouvraient la péninsule ibérique à la foi de Muhammad صلى الله عليه وسلم et s’enfonçaient bientôt jusqu’à la Loire…
Pour la première fois, toutefois, la conquête n’était – dans un premier temps – pas portée par les Arabes mais par un peuple fraîchement converti à l’islâm : les Berbères. Alors même que leur terre natale, l’Afrique du Nord, venait à peine d’être définitivement acquise à la foi de Muhammad صلى الله عليه وسلم et pacifiée quatre ans plus tôt par les Omeyyades, ils se lançaient presque aussitôt à l’assaut de l’Europe pour y prolonger le formidable élan et la pulsion vitale de leurs conquérants arabes. À leur tour, jaloux des hauts faits d’armes de leurs aînés dans la Foi, ils s’inscrivaient dans le destin du génie islamique, accomplissaient des exploits qui dépassent l’entendement et résonnent aujourd’hui encore dans le coeur des musulmans, et écrivaient leur nom en lettres d’or dans l’Histoire – preuve s’il en est de l’universalité de la dernière des Révélations.
Mais ce qui fait la singularité de la conquête de l’Espagne est peut-être la vague d’espoir qu’elle fit naître à travers toute la péninsule auprès d’une population exaspérée par des siècles d’oppression etde barbarie. C’est d’abord un comte chrétien, blessé dans son honneur par la perversité de son souverain, qui ouvre les portes du pays aux musulmans; ce sont ses marins et ses éclaireurs, tout aussi chrétiens, qui transportent les guerriers de Tariq ibn Ziyad sur les côtes ibériques et les guident à travers plaines et collines. Ce sont, encore, des nobles chrétiens qui abandonnent les rangs de leur tyran avec leurs partisans lors de la bataille décisive du Wadi Lakkah. Ce sont, partout, les Juifs, victimes de siècles de persécutions toujours plus odieuses, mais aussi les esclaves de l’Église ou les serfs saignés à blanc par le joug germanique, qui accueillent les armées islamiques, porteuses d’un nouvel ordre empreint de justice et de tolérance, en libératrices. Ce sont, enfin, les notables des grandes cités d’Espagne qui découvrent avec un étonnement certain des conquérants magnanimes aux moeurs chevaleresques, et une invasion sans massacres ni dévastations demasse, sans profanations de lieux de culte ni viols.
À l’ombre de la sharî’a, la Pax Islamica apporte prospérité, paix, équilibre et stabilité – seule capable, par la nature même de son ordre politique, d’établir la concorde et un modus vivendi acceptable entre tant de communautés religieuses, ethniques ou sociales si diverses. Très vite, nombre d’autochtones, irrésistiblement attirés par le monothéisme intransigeant de leurs conquérants, se fondent aux côtés des nouveaux maîtres du pays dans cette nation andalouse si particulière, à la fois islamique et européenne, arabe et latine, berbère et germanique, qui devait devenir et rester, des siècles durant, le bastion des arts, des lettres et des sciences, de l’architecture et de la médecine, brillant foyer de civilisation et sublime pôle de raffinement admiré de tous les auteurs à travers les âges, symbolisant la lumière de l’islâm au coeur des ténèbres de la chrétienté médiévale. La magie d’al-Andalus, joyau de la civilisation islamique comme de l’humanité toute entière, était née…
‘Issâ Meyer, 22 safar 1440, 2 novembre 2018.