Héros de l’islâm – Avant-propos (Extrait)

L’écrivain français Gustave Thibon disait que « les nations ont besoin de héros et de saints comme la pâte a besoin de levain. » De ces deux catégories, la Oumma ne manqua jamais; et l’honneur de la communauté musulmane est ainsi, malgré ses faiblesses et ses légèretés passagères, d’avoir toujours maintenu vivante la mémoire de ses grandes figures à travers les siècles. Aujourd’hui plus que jamais, les nouvelles générations de musulmans ont en effet besoin de ces modèles pour construire leur identité et ancrer leur vision du monde contre le nihilisme ambiant qui ne se satisfait guère que d’individus déracinés et coupés de toute transcendance comme de profondeur historique – l’un allant souvent de pair avec l’autre.

C’est qu’une communauté se définit tant par l’avenir auquel elle aspire et les valeurs par lesquelles elle vit au quotidien que par les exemples passés auxquels elle se réfère ; Chakib Arslan rappelait ainsi que « l’on ne peut imaginer qu’il existe sur Terre une nation, qui se considère et qui reconnaît s’être établie par elle-même, sans qu’elle ne soit préservatrice de son histoire et consciente de son passé. » Tel est donc le but de ce modeste ouvrage : rendre hommage à ces hommes qui ont fait la civilisation islamique et dont la vie et la mort ne sont pas seulement des vestiges d’hier mais aussi des sources d’inspiration pour aujourd’hui et demain. Puisque « le tombeau des héros est le cœur des vivants », comme s’exclamait Malraux, ce patrimoine commun de tous les musulmans a donc vocation à abreuver les générations successives de ce que ces biographies recèlent de leçons spirituelles et profanes.

Distingués par Allâh par leur personnalité et leurs capacités extraordinaires, les trente hommes ici mis à l’honneur dédièrent tous leur existence au triomphe de la Religion – laissant au passage leur marque indélébile dans les annales de l’Histoire, tout au long de quatorze siècles parsemés de faits d’armes et de dangers, de victoires et d’épreuves, de hautes réalisations intellectuelles comme d’ères bien mornes et décadentes. Chefs d’État ou érudits, imâms ou conquérants, artistes ou réformateurs, mystiques ou généraux, chacune de ces trente personnalités apporta, à sa manière, sa pierre à l’édifice du monde musulman – et au-delà.

D’aucuns changèrent à jamais la face de l’humanité ; le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui serait sans nul doute bien différent sans le sang-froid d’Abû Bakr, la vision de ‘Umar ibn al-Khattab, les fulgurances de Khâlid ibn al-Walîd, les éclairs de génie de Mehmed II ou l’intransigeance d’Ahmad ibn Hanbal. D’autres, encore, apparurent à des moments-clés de la marche du monde comme pour sauver la Oumma des périls qui l’assaillaient de toutes parts : ainsi de Nûr ad- Dîn, Salâh ad-Dîn, Yusûf ibn Tâshfîn ou Baybars, vainqueurs respectifs des croisés, de la Reconquista et des Mongols. Et puisque le regard du musulman ne peut se restreindre à une vision matérialiste étriquée, certains, s’ils ne connurent guère le succès ici-bas, se distinguèrent par la hauteur de leurs vertus et leur capacité à irriguer les âmes et inspirer les cœurs : que serait en effet la conscience musulmane sans la chevalerie spirituelle de ‘Alî ibn Abî Tâlib, le martyre édifiant de son fils al-Husayn ou plus près de nous, l’abnégation de ‘Umar al-Mukhtâr et la sincérité de Malcolm X ?

Établir une telle sélection implique nécessairement sa part de subjectivité – le nier serait malhonnête. Précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas ici d’une liste fondée sur la valeur et le mérite au sens où le croyant l’entend habituellement ; le cas échéant, il n’aurait fallu mentionner ici que trente hommes issus de la meilleure génération, celle des Compagnons du Prophète – mais là n’était pas le but de cet ouvrage. J’ai donc bien imparfaitement tenté de mesurer l’impact intellectuel, social, politique, culturel et spirituel des contributions et réalisations de chacun, tout en prenant en compte la capacité de leur personnalité et de leur parcours à inspirer l’esprit autant que les circonstances extraordinaires auxquelles ils furent souvent confrontés – puisque l’adversité est l’école des grands hommes. Si certains noms s’imposaient comme une évidence, il a, parfois, fallu trancher et procéder à des choix difficiles, tant la tâche de ne retenir que trente personnages sur les centaines d’immenses figures musulmanes s’est avérée ardue. Le lecteur s’attristera ainsi probablement de l’absence de prestigieux imâms tels qu’Abû Hanifa ou ash-Shafi’î, de nombre de califes abbassides ou omeyyades, sultans ottomans ou mamelouks, de grands penseurs réformateurs et de certaines figures marquantes du réveil islamique contemporain, qui tous auraient amplement mérité leur place dans cette prestigieuse galerie. Il s’étonnera aussi peut-être de trouver des personnalités qui s’opposèrent les unes aux autres par les idées, voire par l’épée ; c’est que les siècles de recul nous permettent de relativiser leurs différends et d’apprécier à leur juste valeur les efforts et les apports de chacun vers un but commun et suprême.

Par cette tentative d’explorer l’histoire de l’islâm et des musulmans à travers la vie, la pensée et les réalisations de ces trente hommes hors du commun, j’espère humblement que cet ouvrage inspirera le lecteur non averti à poursuivre sa découverte de cette discipline ô combien passionnante – et cruciale. Et j’implore, surtout, Allâh de bien vouloir faire de cette modeste collection de chroniques une source d’inspiration et de motivation pour les générations appelées à accomplir à leur tour leur devoir envers leur Créateur et leur communauté ; avec, en filigrane, l’idée que chacun d’entre nous puisse – et doive – servir l’islâm selon ses talents et ses compétences propres.

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